Matin
Il y a d’abord ce frôlement de la toile. Le pas de Tutur sur le sol. Le glissement des pantoufles.
Les sabots. Tutur a laissé ses charentaises près de l’entrée. Il se faufile par la porte. Un souffle. Léger. Le rideau de perles a frémi. Cliquetis maigrelet : Dingueling. Non, même pas. Juste un chuintement mou qui s’éteint, dou – ce – ment.
Odile a pensé aux vagues, sur la plage, et aux coquillages.
Elle sourit. Elle n’ouvre pas les yeux ! Elle sait que dehors il fait nuit encore. Tutur va fermer le cellier. Dedans, il fait frais et sombre. Et ça sent la terre humide, la pomme et le fromage. Après, Tutur ira…
Odile se rendort.
Alors, plus tard — un peu, beaucoup plus tard, elle ne sait pas. Plus tard, un peu, beaucoup… Mais plus tard. Le chant des oiseaux. Tireli, Digueli, Tututut, tututut, elles rougiront elles rougiront, les cerises. Les cerises… rouges, dodues, croquantes et juteuses. Mm… Demain. Tout à l’heure, nous irons cueillir les cerises.
La petite ne se rendort pas. Ils mangeront des cerises !… Elle écoute.
Le chant des oiseaux. Ce chant est pour elle, en elle. Lui parle. Tireli, Tututut, Bonjour, bonjour, Odile. Il fait beau. Il fait beau. La journée sera belle. Odile, Odile, la journée sera belle.
La petite sourit. Elle sait : la journée sera belle. Nous irons cueillir des cerises.
Mais Odile reste blottie dans son lit.
À sucer son pouce.
Son pouce a goût de lait et de miel. Odile pense à maman. Dormir encore. Faire semblant.
À travers le store tiré, le soleil a dit : Je me faufile. Et il s’est faufilé. Le jour est là. Odile a ouvert les yeux — un peu. Regarde. Le soleil sur les murs, le soleil sur la pierre de l’évier, le soleil fripon — si, si, elle le connaît, celui-là — qui fait luire, un peu, si peu, mais tout de même, l’eau du seau posé près de l’évier. Le soleil qui vient jusqu’à son lit et la taquine. La caresse. : « Odile, Odile, c’est moi. » Odile s’amuse. Et la lumière venue joue avec elle et bonjour, bonjour, debout, debout. C’est le matin.
— Non, non, pas debout, a dit Odile, je dors encore.
Et Odile dort. Fait semblant. Le lit est confortable et douillet. Odile est si bien.
Liline s’est levée. Doucement, elle remue les casseroles, fait chauffer le lait et l’eau du café. Le lait fume. Odile ne le voit pas, mais Odile sent sa bonne odeur de velours se lever dans la pièce. Mm…
« J’ai faim », pense Odile. Mais dormir encore.
Sur la toile de la table, Liline a posé les deux bols. Odile a entendu le choc mat de la faïence contre la toile. À côté, Liline a aligné les cuillères, le pain, la confiture. Odile a entendu le papier cellophane qu’on enlève et qui frissonne. Et Odile aussi frissonne. De plaisir. Liline prépare le petit déjeuner.
Odile devrait se lever. Il fait beau et… Elle se replie sur elle-même, boule toute chaude dans son petit lit douillet. Encore un peu.
Liline a laissé couler l’eau dans la cafetière, à petits jets. Les gouttes du café tombent : ploc, ploc. La pièce a goût de café, odeur de café, parfum de matin qui se lève. Et celui du lait.
Et le soleil s’amuse à travers les volets.
Alors, Odile ouvre les bras, s’étire. Elle plisse un peu les yeux. Elle se sent toute molle encore. Et le lit tout chaud.
— Bonjour, Liline
— Bonjour, Odile, répond Liline. Viens vite, ton lait est prêt. Arthur est au jardin. Tout à l’heure, nous irons cueillir des cerises.
Annick Demouzon