Retour de l'être aimé, c'est la promesse que glissent les mages dans nos boîtes à lettres sur de tout-petits papiers, c'est la prière qu'on murmure en allumant des bougies. C'est l'espoir ou le regret de ceux qui vont se croiser jour après jour sur ces lignes.
Premier regard du jour au milieu des draps en pagaille, ils se sourient avec bonheur. Attirés par le ciel déjà bleu, ils repoussent les voiles de la fenêtre devant la perspective du parc . Tendresse de l’herbe après la rosée , ombre des vieux cèdres, les verts du paysage scintillent contre les pierres grises de la demeure. Après la terrasse bordée de balustres , la prairie en pente douce vers l’étang, calme miroir , vapeurs laiteuses . Sous la masse des grands arbres, deux cygnes blancs dérivent , immobiles excepté de douces impulsions pour demeurer ensemble . Pas un souffle, pas une ride sur la nappe glauque . Le refrain obstiné d’une tourterelle accompagne la naissance du jour, tout le jardin célèbre la matinée.
Il sursaute et commence à récolter ses vêtements éparpillés entre palier et couloir . Elle a enfilé un peignoir de soie écarlate . Lovée dans un fauteuil de tapisserie au dos droit elle ne le quitte pas des yeux. Il se prépare fébrilement , commentant pour lui-même :
- Il faut que j’appelle chez moi maintenant, quelle heure est-il ? ma montre est arrêtée, as-tu l’heure ?
Elle lui répond d’un sourire lumineux . Assis sur le marbre de la coiffeuse, hochant sa tête triangulaire , le chat suit chacun de ses mouvements. Il continue à parler en s’habillant.
- A bientôt, dès que je peux, je reviens te voir…II descend légèrement, soudain libéré, il danse presque, la tache écarlate de son trousseau luisant au bout de ses doigts.
En haut des marches, immobile , les cheveux quasi bleus sur la soie rouge, les yeux rivés sur lui, elle s’imprègne de sa voix et du souvenir de son corps.
Son pas alerte , tout son être, exhalent la hâte de retourner à sa vie après cette heureuse parenthèse . Chez sa femme. Une guirlande de mensonges au bord des lèvres. Un dernier regard, un sourire triomphant malgré lui, il disparaît. Elle fixe l'image de son épaule et son bras contre le battant, le regard conquérant mal réprimé, l'inconsciente fatuité, le charme . Tout ce qu'elle gardera de lui parmi les autres. La porte d’entrée referme le sombre hall qu’ un rayon de lumière a eu le temps de traverser .
Elle s’arrête devant la console. Contre ses paumes le cuir de la reliure semble vibrer, elle ouvre le livre. Le ciel devenu gris descend comme un volet sur l’œil-de-bœuf du palier . Dans la chambre , elle clôt les hautes fenêtres , veillant à ne pas prendre dans la crémone les voilages déjà fasseyants. Elle redescend l’escalier, le chat contre les chevilles, le vent siffle déjà contre les pentes du toit. Sa soeur surgit - Combien de petits déjeuners ? - Monte le plateau pour deux dans la chambre et fais couler un bain, il n’ira pas loin , l’orage arrive. Elle la rappelle - Anne, ce sera ce matin . Pour la voiture tu trouveras ses clés dans son blouson (...)
Dans les journaux, elle n’apparaît en photo que de dos, afin de protéger son identité. Une frêle enfant aux cheveux longs et bruns, ramassés dans la nuque. Nous l’appellerons Maria. Elle vient d’avoir neuf ans, et elle habite près de Recife, la capitale du Pernambouc, dans le Nordeste brésilien, la région la plus pauvre du pays.
Elle se plaignait de maux de ventre. Le 25 février, sa mère l’a emmenée au centre de santé, pour découvrir qu’elle était enceinte de jumeaux, suite à des viols répétés commis par son beau-père. Interrogée, Maria révèle qu’elle est victime d’abus sexuels depuis l’âge de six ans. C’est cette vie sexuelle précoce qui a provoqué un déclenchement de ses règles avant l’âge. Son beau-père a reconnu les sévices devant la police, tout comme ceux qu’ils commettaient contre la grande soeur de Maria, âgée de 14 ans. Leur mère assure n’en avoir rien vu. Le cauchemar ne s’est pas terminé. Maria a le droit d’avorter, elle se situe même dans les deux seuls cas qui permettent légalement l’avortement au Brésil : le viol et la mise en danger de la santé de la mère. Dans les autres situations, c’est impossible, comme dans le reste de l’Amérique latine, hormis à Cuba et dans la ville de Mexico où un référendum a récemment légalisé l’interruption volontaire de grossesse. Le ministre de la santé voudrait lancer un débat sur la question au Brésil, arguant d’une part que les grossesse précoces brisent les vies des adolescentes, et rappelant le nombre de femmes qui meurent en tentant des avortements sauvages. Des centaines tous les ans. Mais il se heurte à la détermination de l’Eglise qui est prête à tout pour, au contraire, en finir avec les deux exceptions de la loi brésilienne. Elle vient de le démontrer avec l’histoire de Maria. Sa mère a été poursuivie par les autorités religieuses, qui ont convaincu le père de Maria de s’opposer à l’interruption de grossesse. La gamine a dû être transférée dans un autre hôpital, pour un avortement d’urgence, à quinze semaines de grossesse. L’enfant mesure 1,33m et pèse 36 kilos. Selon le directeur de la maternité, les risques pour sa vie étaient énormes, son corps n’étant pas prêt à porter deux enfants, sans même mentionner le drame psychologique. Maria a finalement réussi à se faire avorter il y a deux jours, mais l’Eglise vient d’annoncer l’excommunication de tout le corps médical responsable de l’acte. Depuis les années 1980, alors que le vent de conservatisme souffle de plus en plus fort sur le Vatican, la religion catholique ne cesse de perdre des adeptes, 1% par an, selon les spécialistes des questions religieuses.
- T’es mon joker , il me disait.
Son joker. Il se croyait où ? Il venait là comme à une table de jeu. Moi je l’attendais, je me pomponnais, je soupirais, je vérifiais dans la glace, j’essayais des dessous qu’avaient tout du paquet-cadeau.
Le pire c’est que je m’en rendais compte.
Son joker , toujours prête, seule entre ses quatre murs, guettant le téléphone et la sonnette dans l’espoir de son passage dans le quartier…
Ça n’aurait pas dû se passer comme ça. Normalement la first one c’était moi. Ou Anna, mais enfin là , j’avais le dessus sans problème.
La Mère était de mon côté, sûre de mon destin elle me répétait la litanie pendant des heures : présentations, fiançailles, bague au doigt, tralala et tous les regards vers moi. Je l’écoutais, sûre d’être l’élue, comment en douter quand votre maternelle vous serine du matin au soir :
- Tu es née pour être une dame, tiens-toi droite, ton vernis n’est pas assorti à ton rouge, ne ris pas si fort, tu es la prochaine sur la liste …
(...) C’était le bon temps, Anna et moi à fond sur le look, les magazines, les tenues des stars en photo dans Oser, on en avait les yeux usés à force de les regarder.
On se levait à neuf heures, petit déjeuner diététique, jogging, passage par le kiosque au retour, douche et déjeuner. L’autre, la fille de notre beau-père, arrivait du Mac Do où elle travaillait le midi, juste à temps pour débarrasser. On passait au salon la Mère, Anna et moi , et c’était parti pour la lecture des journaux et des magazines . On sortait toutes les trois après pour un peu de shopping, on lui laissait le champ libre pour son ménage .
J’aurais dû être choisie, c’était ma place. Quand l’annonce du concours est arrivée, on était folles , Anna et moi. « Princess Academy, l’émission qui révèle la princesse qui dort en vous » . C’était clair , notre heure était venue.
A la clé pour les huit gagnantes du casting, quatre semaines avec Charming Kevin , le prince de la télévision , les pectoraux de la chanson française, sous le regard de soixante-douze cameras dans un loft Tkea avec piscine et tout. Le rêve . Deux éliminées par semaine et combat de catch dans le chocolat entre les deux dernières. A la loyale, quoi, et pour la gagnante deux semaines au soleil avec Charming , des photos, des émissions de télé. Le bonheur , la classe. Tout, quoi.