Sur le seuil de la classe, Lucien regarde le drap du manteau de sa mère et le jean de la maîtresse, juste à la hauteur de ses yeux.
Les autres élèves sont partis cartable au dos, une fois de plus elle parlent de lui , les mots s’envolent au-dessus de sa tête pour aller se cogner aux grandes fenêtres et tomber, assommés, sur le carrelage luisant.
C’est vrai qu’il les connaît, ses lettres.
Le a comme un petit escargot peureux enroulé sur lui-même et le P qui le menace , on dirait un marteau prêt à tomber pour l’écraser. Splash. Pour lui P et a , ça fait Splash.
P-a Pa, c’est quand même pas compliqué, dit la maîtresse pendant que les autres ricanent. C’est pas compliqué redit Maman le soir , presque allongée à plat ventre face à lui sur la table de la cuisine, tapotant d’un ongle pointu la ligne de lettres qui dansent, se trémoussent et s’emmêlent, P-a PA ça va de soit, c’est comme B-a BA et T-a TA. P-a, PA répète après moi - Pourquoi j’ai pas de père?
Lucien fixe bien droit les yeux de sa mère qui s’immobilise, le doigt encore tendu vers la ligne de syllabes, la bouche arrondie, la voix soudain en panne comme la radio quand elle n’a plus de piles (...)