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7 février 2009 6 07 /02 /février /2009 17:27

Comme chaque jour excepté le lundi, jour de fermeture, et le dimanche où elle évite la file des maris venus acheter le gâteau , Madeleine sourit de plaisir en arrivant dans la boutique. Leur jeu  dure depuis des années : elle doit deviner l’auteur du sketch que le boulanger lui soumet. Dans le magasin  vide en ce début de soirée, il  sert un petit garçon venu choisir des bonbons et patiente pendant le comptage laborieux des pièces. Sitôt l’enfant parti, il entonne pour Madeleine qui attend :

 Il dit : ça n’arrive qu’aux autres !

Parce qu’il a entendu les autres dire : ça n’arrive qu’à moi !

Elle se concentre avant d’émettre son hypothèse, assise sur la chaise prévue à cet effet. Les jambes croisées, attentive, elle pose son sac par terre, histoire de signifier qu’elle a tout son temps pour ce moment partagé. Il passe devant le comptoir  et se tourne vers elle comme au cabaret.

-Il croit que ça n’arrive qu’à eux (aux autres) !

alors que peut-être, il n’y a qu’à lui que ça arrive

de penser que ça n’arrive qu’aux autres !

Encore que, lorsqu’il s’en aperçoit,

il dit comme les autres :

Ça n’arrive qu’à moi !

 Cela m’est arrivé…à moi !

Alessio s’interrompt et repasse derrière le comptoir pour quelques clients pressés , l’air ailleurs, elle sent qu’il répète intérieurement la suite  . Une partie de lui vit sur scène pendant qu’il prépare et vend son pain,  épuisé par ce double jeu (...)






Raymond Devos, Matière à rire, Olivier Orban, Paris, 1992



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