Elle éponge les traces d’eau sur l’évier de pierre , essuie les carreaux bleus et finit d’arranger le plateau . Cafetière, sucrier , petite cuiller argentée , quatre biscuits à l’orange dans la coupelle de Saxe. Celle où Maman dressait quelques minces tuiles aux amandes . La fine bordure craquante et cuivrée , le centre jaune clair à peine cuit… l’ourlet de porcelaine sous la pulpe de ses doigts ressuscite leur douceur fondante et leur volatil parfum de dragée .
Naphtaline et santal, deux fois l’an elle glisse des billes odorantes entre les piles de draps pliés par des disparues. Elle se rappelle les matinées des jours de linge ; Grand-Mère dans le fauteuil d’osier, Maman présidant la cérémonie et les jeunes filles maniant les toiles. Son admiration d’enfant devant leur adresse et leur complicité , les effluves savonneux du lin, la douceur brûlante de la vapeur…Deux fois par mois l’odeur de tissu chauffé dans l’escalier et , l’après-midi , les éclats de rire des lingères libérées des patronnes . Comme elle aimait se faufiler pour profiter de leurs bavardages. C’était le temps de la lenteur , de la certitude que rien n’allait changer (...)