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30 janvier 2011 7 30 /01 /janvier /2011 17:42

Ce silence

 

Il y a ce silence. Ici. Maintenant.

Ce silence me dit : « Viens. » Et je l’entends.

À droite, ce caquètement, criettement, criaillement d’une volaille au nom de moi inconnu. Un oiseau. Je l’imagine un peu gros. Est-il laid ? Est-il beau ?

À gauche, le frottement d’un crayon sur la feuille et, plus loin, — à peine plus loin —, si près, beaucoup trop, le ronronnement continu de la ville, ronflement, bruits de roues, bruits de bitume, bruits de moteurs. Réveille-toi, échappe au silence ! Ne l’écoute pas !

Et ailleurs, un instant très bref, loin, cet appel des pompiers, « pimpon, pimpon », qui s’éloigne. Disparaît.

 

Tout cela est silence. Silence, parce qu’il m’a dit : « Viens » et que je suis venue.

 

Je me dis : Et toi ?

Je me réponds : Moi ?

Et je voudrais ne pas savoir tout à fait, ne pas chercher, ne pas répondre à cette question : Qui suis-je, moi ? Que suis-je, dans ce silence ?

Je suis le criaillement de ce silence de campagne, un silence familier.

Je suis aussi le frottement continu des bruits de la ville, avec ce rehaut de crayon sur la feuille. Ce bruit ne deviendra silence que par ma voix, ma volonté. Mon désir. Gauche et droite réconciliées, unifiées. Sinon, il ne sera pas.

Alors, si je veux, j’irai chercher en moi-même — loin peut-être — le quelque chose qui manque pour que ce lieu : cet ici —, cet instant : ce maintenant — soient pleinement silence.

 

Mais quoi ? L’image d’un bassin d’eau paisible, peut-être, où glissent… Quoi ? Des poules d’eau ? Une sarcelle ? Un cri parfois. Ce cri si profond de la nature qui nous parle. Un iris qui se penche. Et le soleil qui s’en va derrière la colline, et le clignotement envahissant des grillons invisibles, le chant des étoiles, là-haut, sur la mer. Cette feuille au sol que j’ai ramassée et dont le givre a ourlé les bords. Silence.

Ou bien — ou et puis —, si je veux, je laisserai passer en moi ces bruits, tous ces bruits de la terre, qui ne m’atteindront pas. En moi, je trouverai porte ouverte.

— Entre

— Mais non, mais non.

— Mais si. Il faut oser. Écoute : Te voilà.

 

Mais comment ? Te croyais-tu si autre, tellement autre ? Tu es ce silence, si tu le veux. Regarde. Vois. C’est ça, le silence.

Et, peut-être, il se peut, je ne voudrai pas.

Et, peut-être, il se peut aussi, je voudrai. J’accepterai.

Et je serai le silence. Ce silence en moi et ce silence hors de moi. La vie qui passe, s’arrête un instant. Non, non, jamais ne s’arrête, repart aussitôt, toujours file et poursuit son chemin.

 

Alors, je me dirai, et je le redirai et redirai encore : cette seconde qui passe et où, aussi, passe la vie qui s’en va, ne sera jamais plus. À l’instant-même où cette seconde existe, déjà elle n’est plus. Que du silence.

Aujourd’hui, samedi 23 octobre 2010, il est 10h33. Cet instant ne reviendra jamais. Jamais plus. Déjà, il est englouti dans le grand silence, cet autre silence, celui de l’inexorable mutité. Ce silence sans bruits, sans cris, sans frottements, sans criaillements. Un silence qu’on ne peut pas entendre.

Celui vers lequel nous allons.

 

 

                                               Annick DEMOUZON

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commentaires

A
<br /> C'est moi qui vous dis merci.<br /> Ce texte s'est fait tout seul et les mots sont sortis comme ils ont eu envie. S'ils déroutent, ma foi, je ne suis pas contre, c'est mon côté baroque, mais qu'ils vous touchent me touche.Merci.<br /> <br /> <br />
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S
<br /> Déroutant, c'est le mot. Et c'est ce que j'aime: loin des clichés, sensible et authentique.Parce que je ne lis pas pour retrouver les marques des passages précédents, je lis pour être déroutée.<br /> Merci Annick<br /> <br /> <br />
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A
<br /> Aussi beau que déroutant. Une prose peu commune, de nos jours...<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Un très beau texte. Bien écrit, mais pas seulement. Il y a de l'être, là. Peut-être ce qui reste vraiment, après que tout s'est tu.<br /> <br /> <br />
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P
<br /> Un silence que l'on écoute jusqu'au bout dans une grande tension.<br /> <br /> <br />
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