Ce silence
Il y a ce silence. Ici. Maintenant.
Ce silence me dit : « Viens. » Et je l’entends.
À droite, ce caquètement, criettement, criaillement d’une volaille au nom de moi inconnu. Un oiseau. Je l’imagine un peu gros. Est-il laid ? Est-il beau ?
À gauche, le frottement d’un crayon sur la feuille et, plus loin, — à peine plus loin —, si près, beaucoup trop, le ronronnement continu de la ville, ronflement, bruits de roues, bruits de bitume, bruits de moteurs. Réveille-toi, échappe au silence ! Ne l’écoute pas !
Et ailleurs, un instant très bref, loin, cet appel des pompiers, « pimpon, pimpon », qui s’éloigne. Disparaît.
Tout cela est silence. Silence, parce qu’il m’a dit : « Viens » et que je suis venue.
Je me dis : Et toi ?
Je me réponds : Moi ?
Et je voudrais ne pas savoir tout à fait, ne pas chercher, ne pas répondre à cette question : Qui suis-je, moi ? Que suis-je, dans ce silence ?
Je suis le criaillement de ce silence de campagne, un silence familier.
Je suis aussi le frottement continu des bruits de la ville, avec ce rehaut de crayon sur la feuille. Ce bruit ne deviendra silence que par ma voix, ma volonté. Mon désir. Gauche et droite réconciliées, unifiées. Sinon, il ne sera pas.
Alors, si je veux, j’irai chercher en moi-même — loin peut-être — le quelque chose qui manque pour que ce lieu : cet ici —, cet instant : ce maintenant — soient pleinement silence.
Mais quoi ? L’image d’un bassin d’eau paisible, peut-être, où glissent… Quoi ? Des poules d’eau ? Une sarcelle ? Un cri parfois. Ce cri si profond de la nature qui nous parle. Un iris qui se penche. Et le soleil qui s’en va derrière la colline, et le clignotement envahissant des grillons invisibles, le chant des étoiles, là-haut, sur la mer. Cette feuille au sol que j’ai ramassée et dont le givre a ourlé les bords. Silence.
Ou bien — ou et puis —, si je veux, je laisserai passer en moi ces bruits, tous ces bruits de la terre, qui ne m’atteindront pas. En moi, je trouverai porte ouverte.
— Entre
— Mais non, mais non.
— Mais si. Il faut oser. Écoute : Te voilà.
Mais comment ? Te croyais-tu si autre, tellement autre ? Tu es ce silence, si tu le veux. Regarde. Vois. C’est ça, le silence.
Et, peut-être, il se peut, je ne voudrai pas.
Et, peut-être, il se peut aussi, je voudrai. J’accepterai.
Et je serai le silence. Ce silence en moi et ce silence hors de moi. La vie qui passe, s’arrête un instant. Non, non, jamais ne s’arrête, repart aussitôt, toujours file et poursuit son chemin.
Alors, je me dirai, et je le redirai et redirai encore : cette seconde qui passe et où, aussi, passe la vie qui s’en va, ne sera jamais plus. À l’instant-même où cette seconde existe, déjà elle n’est plus. Que du silence.
Aujourd’hui, samedi 23 octobre 2010, il est 10h33. Cet instant ne reviendra jamais. Jamais plus. Déjà, il est englouti dans le grand silence, cet autre silence, celui de l’inexorable mutité. Ce silence sans bruits, sans cris, sans frottements, sans criaillements. Un silence qu’on ne peut pas entendre.
Celui vers lequel nous allons.