La voix de Jane, les mots de Marguerite. Aussi fins et délicats que les petites feuilles où jouait la lumière ce soir-là.
Retour de l'être aimé, c'est la promesse que glissent les mages dans nos boîtes à lettres sur de tout-petits papiers, c'est la prière qu'on murmure en allumant des bougies. C'est l'espoir ou le regret de ceux qui vont se croiser jour après jour sur ces lignes.
(...) La lame du couteau pressée contre son cou, le mur dans son dos, elle n’a pas eu le temps de comprendre. Elle se laisse glisser sur un siège et ferme les yeux, la tête levée. Elle sent l’acier lisse contre son artère battante ; le couteau sans dents qu’elle a sorti pour la brioche de peur que l’autre , le couteau à pain, ne déchiquette la fine peau sombre et luisante de ses créneaux aiguisés .
Alors ça y est, c’est comme ça que ça va se passer. Elle y a si souvent pensé : allait-elle s’endormir, tomber, manquer d’air ? Finalement une inconnue va l’aider à passer le cap. Elle revoit la ferme de l’oncle Jo où on l’avait envoyée pendant la guerre pour la rapprocher du lait, des œufs, des fruits et de la viande. Elle se rappelle les animaux qu’elle a vu mourir , le porc, le mouton, les lapins. La lame, le flux rouge et les soubresauts. Elle se dit que ses filles vont voir son sang sur les murs de la cuisine , que c’est ça le pire. L’idée lui arrache un gémissement bouche close, elle voudrait tellement éviter cela.
Elle n’y peut rien elle ne peut qu’attendre, les yeux fermés, en appelant silencieusement – Pierre, qu’est-ce que je dois faire maintenant ? Je voudrais que les enfants ne gardent pas de moi cette image torturée, j’aimerais leur laisser un calme sourire, comme toi après ton attaque. Lorsqu’ils ont refermé le couvercle, tu avais l’air de sourire, encore . C’était comme si tu disais, une fois de plus – Tout va bien, les amours, c’est le bonheur là, non ?
-Pierre !
Elle entend sa propre voix appeler et ouvre les yeux.
Elle est seule, effondrée assise contre le mur, le couteau brille sur la table près de la brioche, dans la cuisine vide (...)(...) De la pointe de la faucille, il écarte des broussailles, puis une bâche qui n’a plus de couleur. Il extrait le vélo qu’il agrippe par le porte-bagages pour le hisser vers lui. La chaîne semble en état , les pneus ont l’air corrects, il les gonfle en espérant que les boyaux hors d’âge n’expireront pas tout de suite.
Il range tout ce qui pourrait attirer les rôdeurs et ferme soigneusement sa porte. Il lui faut monter la bécane jusqu'au chemin qui suit la voie ferrée , rejoindre la départementale et traverser le pont routier pour atteindre le campement de l’autre.
La pente est dure, les voitures vont bien vite , certaines klaxonnent le cycliste aux vêtements sombres qui peine sur ses antiques pédales . Il est dépassé par un essaim de fringants retraités emmaillotés de nylon fluo , le crâne baissé sous leurs casques ovales. Leurs vélos luisants et leurs lunettes profilées les font ressembler à d’énormes insectes bioniques, en le doublant ils lui infligent le spectacle de leurs arrières-trains maigres moulés dans des tissus collants .
Ils ont disparu lorsqu’il s’arrête et cache sa monture de ferraille pour marcher vers le pont . Tapi contre un talus , il découvre les hommes caparaçonnés de toile orange occupés à remonter branches et planches qu’ils entassent dans une remorque. Le vrombissement d’une tronçonneuse éclate sous l’arche, un grand nettoyage est en cours. Personne en vue à part les ouvriers, l’inquiétude le tient. Son voisin a disparu corps et biens.
Il lui tarde de rentrer à l’abri des machines, des couleurs ignobles et de tout ce qui va vite. Pesant, indifférent au passage du dix-huit heures douze , à ses lignes de pêche qu’il doit relever, aux belles récoltes annoncées par les châtaigniers, il pédale sans regarder autour de lui. (...)
Que feriez-vous s'il vous restait 500 secondes à vivre et 500 euros à dépenser ? A tagueur tagueuse et demie : Khass m'a refilé le bébé , venu de chez Magali Duru, auquel il fallait joindre la sixième image de son dossier le plus récent (Là, c'est moyennement raccord tout de même)
Mrs K. m'a donné le top. Ça tombe à pic. Le cercle des soumis baisse la tête devant l’Affreux. Je me lève, je lui souris pour la première fois (il vient de cesser de parler, ce n’est pas si fréquent), je lance vers ses gros yeux marron - Je vais vous laisser, j’ai rendez-vous dans cinq cents secondes. Les assis s’enfoncent un peu plus dans leurs sièges, je salue du coin de l’œil P et R , les seuls vivants de l’assemblée et je descends. 60 ‘’
La route est déserte, normal pour une matinée en semaine. Longer le fond de la baie, marée haute, le Mont flotte comme un drôle de paquebot, les moulins ressemblent à des sémaphores. Traverser le pont, descendre vers le port, les mâts serrés les uns contre les autres. Je passe régler le mois de ponton en cours, cent vingt euros. Je laisse les clés de la voiture à Liliane, la chef du port, c’est plus sûr. Et puis une enveloppe avec cent quatre vingt dix euros pour chaque enfant. Il va inviter ses copains au resto, elle va se dégotter un billet d’avion pour loin. Je les connais. 340’’
Tout ce que j’aime en arrivant à bord : ouvrir le capot, retrouver le parfum d’ épices de la cuisine et d’autre chose, je ne sais pas quoi. L’odeur qui me fait penser : j’arrive chez moi. 50’’.
Encore 50’’ Je démarre le moteur , son tempo régulier me rassure.
Je me verserais bien un verre du petit Chablis qu’on garde dans les fonds, ça me ferait trop penser à l’homme. Le Prince Charmant se débrouillera bien sans moi, il faut juste qu’il n’oublie pas de prendre ses médicaments. Si Mistigri pouvait le lui rappeler quand elle fait son cirque devant le frigo.
Sortir du port, installer le pilote automatique, viser l’horizon.
La paix